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ON FERME
Par Vincent Dieutre
( Réalisateur de : Mon voyage d'hiver,
Leçon de ténèbres, Rome désolée,
Bonne nouvelle)
Le nouveau film d'Ariane Doublet marque une évolution, une
rupture aurait-on dit du temps de la modernité, dans son
œuvre documentaire. Après l'ironie douce des Terriens,
la tendre cruauté des Bêtes, la voilà qui nous
invite à pénétrer le quotidien d'une petite
usine (normande toujours) et de ceux qui la hantent plus qu'ils
n'y vivent. Car c'est bien d'agonie qu'il s'agit : celle d'un monde
où le travail était encore un pan de la vie et pas
seulement un droit. Un monde d'hommes, un monde clos, bruyant et
monotone, un monde qui perdure sans vraiment reconnaître qu'il
n'est plus.
Ariane et sa caméra fixe accumuleront au jour le jour les
preuves implacables de cette mort clinique. Les travailleurs, un
peu perdus, ne réaliseront qu'après, trop tard. Patience,
rigueur du dispositif, présence obstinée, Ariane Doublet
se retire, s'absente de ce lieu pour laisser jusqu'au bout leur
chance à la révolte, à l'espoir, ou même
au simple surgissement d'un refus, d'une esquisse de devenir. Mais,
si l'émotion nous saisie à la gorge lorsque le processus
touche à son terme c'est que le film, à force d'attention,
de précision et de générosité, sait
faire de cette impuissance centrale, la nôtre. Ici la ronde
des corps résignés n'accouchera d'aucun "personnage",
d'aucune hiérarchie de sympathie, d'aucun désir. On
ferme, c'est tout, c'est comme ça et les responsables (vaguement
coupables) resteront tapis dans le hors-champ incertain de l'économie
globale jusqu'à monter "eux-mêmes" la fin
du film, interdisant de caméra, d'images, Les Sucriers de
Colleville, remisant la cinéaste, l'ultime témoin,
derrière la grille de métal (circulez y'a rien à
voir). Reste alors l'itinéraire entêtant d'un film
ample, rythmé d'un bruit sourd des machines, du temps mort
de la pause ; un film d'une absolue nécessité, qui
sait dresser dans l'urgence floue du délitement, le portrait
de groupe d'un monde du travail. Si "ce vieux rêve bouge
encore", ce n'est qu'agacé de spasmes mécaniques.
Ariane Doublet en prend acte sans mièvrerie aucune, pour
mieux nous faire comprendre que rien ne sauvera nos "petites
entreprises", car tout est à refaire.
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